Quelques nouvelles du Poucet dormant...
La création 2008 de l'option théâtre du lycée François-Truffaut avance, sans bottes de sept lieues, mais sans faillir ! D'ajouts en retranchements, Le Poucet a bien changé en sept mois. Voici donc une version modifiée du texte initial de présentation, nettement plus conforme à ce qu'est notre bébé aujourd'hui !
“Il était une fois…” : tous les petits enfants aiment bien que leur maman leur raconte une belle histoire avant d’aller au dodo, n’est-ce pas ? Une de ces histoires qui font un peu peur, mais pas trop, et qui finissent bien de préférence. Et ils ne sont pas les seuls. “Si Peau d’Âne m’était conté, / J’y prendrais un plaisir extrême. / Le monde est vieux, dit-on ; je le crois, cependant / Il le faut amuser encor comme un enfant” écrivait notre bon vieux Jean de La Fontaine[1]. Qu’est-ce qui fascine donc dans ces contes que la transmission orale a porté, de générations en générations, par la voix des nourrices et des mères-grands, jusqu’à nos oreilles blasées d’aujourd’hui ? On a beau les connaître par cœur, on ne s’en lasse pas. Et il faut dire que notre interprétation s’accorde toutes les libertés. Comment mieux redonner un sang neuf à ses histoires sans âge que de les bouleverser un peu ?…
À travers ces contes, c’est toute la part d’enfance qui s’éveille en chacun. S’ils fascinent, c’est aussi parce qu’ils mettent en œuvre des structures symboliques intemporelles. C’est que le plaisir de l’histoire tient autant au merveilleux qu’à la peur. C’est enfin parce que le manichéisme des personnages construit une représentation du monde qui, simple sans être simpliste, en ordonne la compréhension. Nous gardons le principe, mais nous changeons la donne. Les cartes sont mélangées mais le jeu reste le même…
Et puis notre Poucet dormant déborde des canevas bien connus de ces quatre contes. La machine à histoires s’emballe. Les frontières explosent, les personnages se retrouvent plongés dans une nouvelle aventure pas vraiment prévue dans le programme initial. Surtout qu’en plus, d’étonnants intrus débarquent... Comme dans les contes, ça commence bien, mais ça dégénère vite. Des personnages arrivent directement de chez Grimm pour envahir Perrault ! La vilaine belle-mère de Blanche-neige vient offrir ses pommes empoisonnées à tout le monde. Le grand Charles, qui voudrait bien trôner au milieu de ses personnages, a toutes les peines du monde à maintenir un semblant d’ordre dans ce qui devient vite une vraie pagaille. L’affaire se corse... et le spectateur découvre une autre histoire qui tisse une nouvelle toile avec les fils des contes originaux. Si bien qu’en bout de course, alors qu’on croyait le chemin tracé d’avance, on – personnages et spectateurs – se retrouve au final dans un monde bien éloigné de ce qu’on avait imaginé.
Quoi qu’il en soit, l’univers du Poucet dormant, comme celui des contes de Perrault, nous raconte toujours que l’innocence pure et naïve est la proie facile des monstres de tout poil qui, comme chacun sait, ne manquent pas, quelle que soit l’époque. Vu comme ça, c’est facile. Mais si on y regarde d’un peu plus près, on peut se demander si l’innocence est aussi innocente que ça. On s’empresse bien vite de croquer la pomme empoisonnée, on cède bien tôt aux avances des loups manipulateurs, on résiste bien peu à la séduisante richesse d’une Barbe bleue… “Je suis la plaie et le couteau ! […] Et la victime et le bourreau !” chantera longtemps après Perrault un autre Charles[2]. “L’homme est un loup pour l’homme” a écrit avant lui Hobbes[3]. À l’état de nature, pensait-il… Le Poucet décline sa maxime avec la plus grande des libertés, en se demandant si l’état social amène vraiment du progrès dans cette jungle originelle : L’homme est un loup pour le loup, le loup est un homme pour l’homme, le loup est un homme pour le loup… Pauvre Perrault, quelle subversion ! Voilà bien de quoi réveiller un mort et le contraindre à quitter le tranquille sommeil de la tombe !
Et puis, forcément, Le Poucet dormant est aussi une histoire de théâtre, de personnages, d’acteurs, de texte et de mise en scène... Une forme de mise en abyme si l’on veut. Comment en aurait-il pu être autrement ? Le théâtre est l’art du vivant. Notre pauvre Poucet, sans bottes de sept lieues, progresse d’un pas hésitant sur le chemin sinueux, désordonné, imprévisible et chaotique de son heure de spectacle. Comme dans la vraie vie quoi ! Alors, pour employer de grands mots en guise de conclusion, s’il fallait résumer cette irrésumable création, peut-être pourrait-on oser cette formule : une esthétique de la confusion. C’est bien peu classique, convenons-en…
[1] Jean de La Fontaine – “Le pouvoir des fables” - Fables - VIII, 4
[2] Charles Baudelaire – “L'héautonimorounéos” - Les Fleurs du Mal
[3] Thomas Hobbes – Léviathan
2 commentaires:
Nous attendons avec impatience un article sur les impressions au retour du festival international de théâtre de jeune en français de Veghel!
ça y est !
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