jeudi 9 août 2007

Catachrèses, une armée en campagne

Catachrèses, au pluriel.

Pourquoi ?

La sonorité bien sûr. Cette cascade ouverte de sons qui sonnent clair pour s’apaiser dans l’inattendue douceur finale.

Et puis aussi, l’ambiguïté de ce mot. Sa richesse donc. Personne n’arrive à le définir précisément. La catachrèse résiste et se dérobe à l’enfermement dans l’univocité d’une définition. À la bonne heure ! Voilà les traqueurs de sens qui soudain avancent à pas de loup, comme en terrain miné, multipliant nuances et modalisations, pour venir à bout de l’animal rétif, sans y parvenir totalement.

Le Vocabulaire de l’analyse littéraire définit ainsi la catachrèse : “Dans son acception la plus courante aujourd’hui [c’est nous qui soulignons], la catachrèse est un trope utilisé par besoin de dénomination et n’ayant pas la qualité de figure”. En clair, il s’agit d’utiliser une image pour définir une réalité qui n’a pas d’autre nom. Le pied d’une chaise, les ailes d’un moulin, la feuille de papier sont des catachrèses. Ces images, complètement passées dans la langue courante, ne sont plus perçues comme telles. Elles sont lexicalisées et ne sont pas alors des figures de style, contrairement à la métaphore par exemple. Utiliser une métaphore relève d’un choix délibéré, d’une recherche particulière de style et de sens. Si je dis que le soleil est une orange, je fais une métaphore et non une catachrèse. La catachrèse est alors une figure de langue et non de style, notent les spécialistes.

Déjà, ça, ça m’a plu. Cette quasi non-figure littéraire qui figure quand même dans les dictionnaires de figures. Ce tâcheron de la langue qu’on prend un peu de haut, à qui on dénie d’une certaine manière toute valeur stylistique.

Les dictionnaires vont plus loin encore, épaulés par l’étymologie. Car catachrèse signifie “abus”. Certaines tournures relèvent de l’abus de langage, lorsqu’elles dépassent le sens strict. “Etre à cheval sur un âne” est une catachrèse. C’est peut-être un abus, mais il ne manque pas de piquant ! Et la lumière de la raison (catachrèse) ne nous aveuglera pas (catachrèse) au point d’oublier l’éclat (catachrèse) de l’expression et de prendre (catachrèse) en grippe cette malheureuse catachrèse si prompte à dépasser les limites du sens strict, de la bienséance et du style.

Ça aussi, ça m’a plu. Cette manière d’abuser du stricto sensu et de dépasser les bornes. Quelles bornes, d’ailleurs, qui les pose ? Que les poètes ont-ils jamais fait d’autre que de franchir les limites du sens étroit et convenu pour mieux exhaler l’inépuisable saveur des mots ?

Et encore, je simplifie, je schématise, car quand on entre dans le vif des définitions, on mesure combien la catachrèse fait souffrir les tenants de l’ordre et de la clarté. Alors on en vient à couper les cheveux en quatre, on parle de demi-catachrèses, on nuance jusqu’à ne plus éviter ce qui ressemble à une contradiction. “La catachrèse est un abus, mais en même temps, elle indique le mécanisme de tout trope [l’utilisation d’un mot dans un sens figuré], c’est-à-dire le glissement d’un sens premier à un sens second”. Y aurait-il alors les bons et les mauvais abus ? Impossible de s’en sortir avec cette sacrée catachrèse qui vous file entre les doigts comme une anguille, je vous le disais. À la bonne heure !

Elle trouve pourtant grâce parfois. Ou plutôt grâce est rendue aux valeureux gens de lettres qui la dépoussièrent et lui redorent du coup le blason en désautomatisant les expressions pour les “raviver” dans un emploi au second degré. Nous voilà dans le quatrième degré, faute de quatrième dimension. Le pied de la chaise est un premier degré au second degré. Si j’affuble mon pied de chaise d’un chausson, je suis dans du second degré de second degré donc. À la bonne heure vous dis-je !

Eh bien moi, j’ai envie de tous les abus de langage, de tous les dépassements de sens stricts, je rends gloire à ces humbles mots du quotidien, à ces faits de langue sans valeur. Moi je dis que la faute n’en revient pas aux mots mais au regard blasé que nous leur portons. Alors oui ! Partons au combat ! Ravivons la catachrèse et nettoyons nos yeux ! Revenons aux sources des mots et rendons à la catachrèse son honneur perdu !

Alors je verrai se relever la tête du clou. Retrouvant sa dignité bafouée, il prendra la tête des cohortes de pieds de table bottés de patins et des bataillons de bras de grues dressant leur poing vers le ciel, que ces armées en campagne atteindront, portées par les ailes des moulins, pour rejoindre l’éclatante lumière du sens retrouvé. Et un soleil de rayons de bicyclette éclairera les forêts de catachrèses ravivées, jusqu’à la nuit des temps, qui n’aura plus lieu d’être.

Ce sera beau.

Voilà pourquoi “catachrèses”.

Le pluriel ? Parce que plus on est de fous plus on rit.

Bibliographie
  • Dictionnaire international des termes littéraires : http://www.ditl.info/ - article “Catachrèse” - De Grève
  • Vocabulaire de l’analyse littéraire - Bergez-Géraud-Robrieux - Edition Dunod
  • Les figures du discours - Fontanier - Edition Champs-Flammarion

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