vendredi 9 mai 2008

Catachrèses menacé de poursuites judiciaires !!!

Le blog Catachrèses a été mis en demeure de publier intégralement l'avis judiciaire et la lettre ci-dessous. Je trouve personnellement que c'est une inqualifiable atteinte à la liberté d'expression mais je ne peux faire autrement que d'obtempérer à cette lamentable décision. Je n'ai cependant pas l'intention (vous me connaissez) de rester les bras croisés à me lamenter. Pour commencer, je lance une pétition de soutien à Catachrèses et j'invite tous ses fidèles lecteurs à la signer diligemment ! Une chose est sûre, ce blog porte aujourd'hui particulièrement bien son (vrai) nom : "Alors j'ai prié noir dans des gris de tempêtes"...
Voici donc le pitoyable message qu'on m'impose de soumettre à votre lecture :


L’Académie Française et le CSPGEF[1] ont imposé au blog dénommé "Catachrèses" la publication intégrale de cet avis ainsi que de la lettre du soussigné sieur Perrault Charles, en guise d'avertissement aux susceptibles spectateurs de la soit-disant pièce de théâtre intitulée Le Poucet dormant, sous peine d’interdiction dudit spectacle, dudit blog et de poursuites judiciaires.

Décision certifiée conforme par le ministère de la justice

Charles Perrault
Homme de lettres français

à Mesdames, Mesdemoiselles et Messieurs
les Éventuels Spectateurs du Poucet dormant
Spectateurs mes amis,

Si j’ai jugé nécessaire, après ces quelque trois siècles de silence, de sortir d’un paisible repos que je pensais éternel, c’est que la raison qui m’y pousse est fort conséquente à mes yeux et j’ose espérer que vous prendrez le temps de lire jusqu’à son terme l’humble épître que j’adresse ici aux Spectateurs que Vous allez (peut-être) être dans quelques jours.
Me voilà donc contraint de reprendre la plume, moi qui pensais avoir enfin été reconnu par la postérité au juste mérite de mon génie, moi qui espérais que mon nom suffirait à imposer le respect, moi enfin qui ai donné naissance à une œuvre que chacun, puissant ou misérable, connaît depuis l’enfance, oui, moi, Charles Perrault, me voir ainsi traité plus abjectement que le plus vil des vermisseaux, voir mon œuvre éternelle traînée dans la boue par une horde de sauvageons incultes et n’y point réagir. Que nenni !
Qu’on juge ici de la légitimité de ma sainte colère :
On se saisit de quatre de mes œuvres les plus chères à mon cœur, La Belle au Bois dormant, Le Petit Chaperon rouge, La Barbe bleue et Le Petit Poucet, on les imbrique sournoisement à n’y plus reconnaître ses propres enfants, fussent-ils Poucets abandonnés sciemment au coin d’un bois. On supprime, on rajoute, on réécrit, sans nul respect du bel ordonnancement de la fable originale et moins encore de l’élégance subtile de l’écriture. On délaie ce ragoût nauséabond d’une sauce “moderne” pour assurer une fausse cohésion à l’ensemble. Et, qui plus est, on utilise de grands mots pour présenter l’infâme résultat : une mise en abyme ! Permettez-moi de me gausser de cette forfanterie prétentieuse ! On n’en reste pas là, ce serait trop beau. On caricature les morales, on va même jusqu’à les subvertir sans vergogne. On pousse le sacrilège jusqu’à inventer un personnage (joué par un vaurien qui ne mériterait qu’une bonne fessée) qui porte mon nom !
Pire encore — ma plume en tremble d’indignation —, on ose aller quérir des personnages chez mes concurrents directs, ces vils teutons de Grimm, qui, heureusement, ne trouvent pas davantage grâce à leurs yeux que moi. Mais le mal est fait, laisser penser que Grimm vaut Perrault, donner à croire que cette ânerie de Blanche-neige est de moi : l’insulte !
Je sens alors l’Ogre s’éveiller en moi et il me prend des envies d’égorger les responsables de cette fable burlesque, ce Poucet dormant qui est une insulte grotesque au bon goût français et aux nobles aspirations moralisatrices de notre Classicisme le plus pur.
Les trente-deux benêts, aussi sots qu’ignorants de notre si belle littérature française, qui osent prétendre emprunter (en amateurs maladroits) les traces de mon pauvre ami Poquelin, ont encore l’excuse de leur naïve jeunesse. Mais pour les adultes qui se targuent de faire leur éducation, je ne vois aucune circonstance qui puisse atténuer leur faute. Alors j’en appelle au Grand Sire qui gouverne ce jour d’hui le doux royaume de France, et j’implore à genoux Sa Justice : qu’Il dépêche illico une lettre de cachet à ces suppôts de Satan, et qu’Il les expédie sans autre forme de procès, faute de Bastille, à Fleury-Mérogis !
Quant à Toi, Gentil Spectateur, si Ton âme est pure, si Ton amour des lettres est sincère, si Tu as foi dans les vertus moralisatrices des fables du grand La Fontaine ou des contes de ton humble serviteur, si pour Toi le théâtre reste le noble genre que les Corneille et les Racine ont porté aux cimes de sa grandeur majestueuse, alors fuis l’antre de débauche dans laquelle Tu T’es par mégarde égaré.
Tu peux, à la limite, et encore, regarder la première partie. Ces prétentieux sacrilèges ont l’outrecuidance de faire un historique de l’humanité en une demie-heure. Ils ont l’audace satanique de mettre en scène Dieu, Adam, Ève, Noë, le papillon, le parapluie et les autres ! La Sainte Inquisition ne devrait leur accorder que le serpent ! Ils vont même, les mécréants, jusqu’à suggérer que l’art et la fraternité peuvent apporter une précaire harmonie dans le chaos originel. Qu’y connaissent-ils en matière d’art et d’harmonie ? Je Vous le demande !
Fuis, Spectateur, fuis avant qu’il ne soit trop tard ! Regagne ton humble chaumine enfumée et savoure un délassement mérité en regardant les images mobiles de ta lanterne magique. Mais, surtout, ne corromps pas ton âme en ces lieux infernaux !
Sur ce, je m’en retourne à mon cercueil.
Je suis votre très humble, très dévoué, très obéissant et très respectueux serviteur

Charles Perrault

[1] Comité de Salut Public des Grands Ecrivains Français

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